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« Accompagner les bébés en danger et leur famille, c’est pénétrer dans un monde peuplé de professionnels qui portent de lourdes charges. D’abord d’un pas allègre puis s’épuisant au fil du temps. En trente ans de pratique, j’ai rencontré des professionnels compétents qui pourtant se sentaient profondément dévalorisés et impuissants. J’ai vu des professionnels pleins d’empathie pleurer en évoquant les soins qu’ils avaient prodigués à un bébé maltraité… Et d’autres qui auraient aimé emmener le bébé chez eux le week-end, afin de le soustraire à son environnement.
J’ai rencontré des professionnels qui éprouvaient de la tendresse pour le bébé en détresse, et de la colère à l’égard de la mère inconséquente… Et d’autres qui éprouvaient de la tendresse pour la mère inconséquente et en oubliaient le bébé.
J’ai rencontré des professionnels expérimentés qui craignaient de persécuter les parents simplement en observant leur relation avec leur enfant, et avaient le sentiment de les trahir en osant penser placement. J’ai rencontré des professionnels qui, au sein même de leur équipe, se vivaient isolés : ils portaient seuls la responsabilité et le poids du signalement ou, à l’inverse, taisaient ce que les parents leur avaient révélé de peur de “faire placer l’enfant”.
J’ai vu des professionnels consciencieux s’effondrer en découvrant des relations incestueuses dans une famille qu’ils accompagnaient depuis des années… Et d’autres avoir honte de ressentir des mouvements agressifs à l’égard d’un petit enfant maltraité qui les avait “poussés à bout”.
J’ai rencontré des professionnels aguerris qui rêvaient la nuit de ces situations et auraient aimé “s’en être lavé la tête” avant de rentrer chez eux. J’ai rencontré beaucoup, beaucoup de professionnels qui se sentaient coupables de n’avoir pas su ou de n’avoir pas pu protéger des enfants. »